vendredi 16 avril 2010

Il faut savoir choisir entre souffrir et bosser en centre d'appels.

Nous, on travaille tous les jours chez Central Call Centers à Argenteuil (Val d'Oise) sous une bretelle de l'échangeur de l'A86, près du pont de Bezons.

Tout le monde est jeune, sympa, dynamique et motivé. On a tous un micro-casque intégré sur la tête comme Mylène Farmer en concert au Palais Omnisports de Bercy.

On s'appelle tous "Dominique Dubois, conseiller clientèle". On a tous 28 ans.

On sourit tout le temps.

On sourit même s'il n'y a pas de raison particulière de sourire; même quand un client nous pourrit la gueule pendant une heure parce que personne ne lui avait jamais dit qu'il fallait avoir un ordinateur pour pouvoir utiliser un modem ADSL, ou qu'il n'a reçu que 3 volumes de son Encyclopédie Larousse au lieu de 12, que son fauteuil relaxant lui a été livré sans repose-pied, que son ensemble de couteaux de cuisine japonais est en réalité Made in China, que la notice de son radio-réveil est rédigée en polonais, ou qu'il a reçu un tupperware rempli de rats morts à la place de sa collection de poupées en porcelaine.

On est tous payés 8,35 euros bruts de l'heure.

On est tous en CDD à temps partiel reconductible depuis 10 ans, et grâce à notre convention d'entreprise SYNTEC on se sent libres de rester ou de quitter l'entreprise quand on veut : c'est à la carte, à l'américaine, et ça c'est hyper-cool, comme ils nous l'avaient dit à la réunion d'embauche.

Le jour de la Fête des Entreprises, on reçoit chacun un tee-shirt "J'aime ma boîte" et des chèques-cadeau "Yves Rocher" ou des mugs "Caméra Café ". Puis on fait le karaoké de la bonne humeur et de la performance globale. C'est le team-building. C'est pour souder l'équipe.

En fait personne ne quitte jamais la boîte parce qu'on a tous le loyer de nos studettes avec vue sur la Porte de La Chapelle à payer, et que 750 euros par mois, ça ne se trouve pas sous les pneus du 4X4 du Directeur Général de Central Call Centers.

De temps à autre, l'un d'entre nous s'effondre en larmes en disant qu'il a "raté sa vie, que son truc à lui ça aurait plutôt été de faire du mime, du chant médiéval ou de l'écussonnage de rosiers et que y'en a marre de se faire cracher dessus à longueur de journée par des connards de clients capricieux ou de supporter les vannes foireuses de petits chefaillons de merde qui écoutent Fun Radio dans leur Clio Diesel, et qu'il en a rien, mais alors, vraiment rien à foutre de pas avoir atteint ses objectifs depuis une semaine".

Alors le chef de plateau et le vigile en blazer bleu marine l'emmènent en salle de repos pendant cinq minutes pour qu'il se calme, puis chez le DRH pour un entretien d'évaluation, puis à la compta pour son solde de tout compte.

Enfin bon, comme nous le rappelle régulièrement la direction, dans le contexte économique actuel, on est quand même pas les plus à plaindre : il y a encore dans ce pays des gens qui sont obligés de travailler à l'usine. Il y en a même qui n'ont PAS DE BOULOT DU TOUT.

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