lundi 26 juin 2017

L'express de minuit pour le techno-esclavagisme : mon retex, pour toi, public. Je ne fournis pas le sac pour vomir.

[Déjà posté sous Gilles Épareballes, mais tant pis]
En février 2016, après sept mois d'arrêt-maladie, je reprends mon bâton de pèlerin-chômeur licencié à 49 ans avec deux enfants à charge.
Tel un courageux Christophe Barbier en sortie de piste, je me réinscris au Pôle Emploi, je consulte ces horribles sites web consacrés à l'emploi des "seniors", vous savez, ceux où l'on peut lire des grossièretés du style :

"Embauché un sénior, s'est la Rolls au prix de la 2CV !"

...avec des publicités contextuelles en gif animé vous invitant à participer à une conférence gratuite consacrée à l'alopécie, au dépistage du cancer de la prostate ou à la retraite par capitalisation.

L'EXTASE.
Quand SOUDAIN : je vois un pop-up me proposant de visiter gratuitement... le Salon des Entrepreneurs ! “Hey mec”, me souffle mon surmoi économique et social qui passait par là, “une chance pareille ne se présente pas deux fois dans une vie d'homme, et c'est GRATUIT PUTAIN.”
Parfois je me dis que j'ai vraiment trop de chatte, que c'est limite insultant pour ceux qui me lisent quotidiennement en jalousant secrètement mes privilèges de nanti de la place des Fêtes et n'ont de cesse que de scroller dans mes 850 derniers posts afin d'y dénicher un photomontage graveleux et le signaler à Facebook pour m'apprendre à vivre.
Alors ni une, ni deux, je remplis un formulaire pour obtenir mon invitation, je l'imprime moi-même comme un héros très discret des temps connectés. Et quelques jours plus tard, me voilà devant le prestigieux Palais des Congrès de la porte Maillot recarrossé de béton ciré par Christian de Portzamparc, avec mon badge à code-barre autour du cou, comme la vache va à l'abattoir.

“À nous deux, monde de la création d'entreprise ! Voilà devant toi un digne disciple de feu Raymond Barre !” tonné-je intérieurement.



[Espace digression]


Raymond Barre, vous vous souvenez ? Mais Siiiiiiii ! Le mentor décédé du juvénile et presque mort Emmanuel Macron ! Le gros nounours du Bébête Show du très bête Stéphane Collabo, ça ne vous dit rien ? C'est LUI qui enjoignait dès les années 1980 le quidam-chômeur à créer sa boite pour sortir de la spirale mortifère de l'assistanat, présentant cette option comme la panacée – même si on apprendra plus tard que Raymond s'était soigneusement gardé de monter la moindre entreprise de sa vie, préférant de loin vivre sur les deniers publics, en émargeant comme prof d'économie à l'Institut d'Etudes Politiques de Paris, ou en logeant à l'hôtel Matignon.
How bizarre.


[Fin de l'espace digression]
Je prends l'escalator qui mène au niveau 1 du Palais des Congrès et là, c'est le choc : au lieu d'une ruche bruissante d'entrepreneurs complètement dynamiques et motivés, me voilà dans une sorte de hall d'aéroport régional où évoluent, hébétés, lents et mutiques, des quadra à quinquagénaires plus ou moins endimanchés, qui vêtu d'un petit costume fatigué de piètre confection, qui chaussé de mauvais mocassins à bout “pointu-carré”, qui encore en vilain blue jean's Complices et pull bariolé...et j'ai l'impression d'avoir été catapulté dans un épisode de The Walking Dead...non, en fait : je suis téléporté dans “Zombie, Dawn of the Dead” de George Romero (1978), le seul, le vrai film de morts-vivants qui sublime les canons classiques du genre pour porter l'estocade là où ça fait mal à la société productiviste-consumériste libérale qui nous accable chaque jour davantage, mais avec le sourire, alors ça passe.


Je déambule parmi ces inconnus avec leur petite sacoche aux couleurs du quotidien “Les Echos”, qu'ils remplissent de dépliants vantant telle entreprise de portage salarial, d'autres détaillant l'intérêt du statut d'auto-entrepreneur, ou telle application de gestion comptable
totalement cloudée et responsive design.

“Bref”, me dis-je
in petto, “ça ne fait pas bander des masses, tout ça...un peu comme quand tu nages dans de l'eau bien froide et que ton appendice reproducteur se recroqueville telle une coquillette séchée au fond de ton minislip Speedo, SOUVIENS-TOI L'ÉTÉ DERNIER à Noirmoutier, la risée devant tes potes.”
Et puis derrière un pilier de béton, je découvre, non pas la foi comme Paul Claudel à Notre-Dame, mais le stand de www.dafktong.com*, une plateforme internet dédiée à l'économie participative, avec une déco très deux-point-zéro, des couleurs et des pictogrammes et des écrans plasma et une machine Nespresso et des bonbons Haribo la vie c'est beau tavu. 

Un afflux massif de couleur et de kikoulolerie connectée au beau milieu de cette Halle aux Chômeurs-Créateurs-Crevards-Zombies-Entrepreneurs, ça me parle, c'est disruptif, voilà enfin des gens qui ont l'air jeune - et en vie !


Alors je m'approche, une fille avec un badge portant son prénom s'approche de moi, j'ai cette impression curieuse qu'elle veut me
renifler la rondelle comme on renifle une tranche de jambon pour s'assurer de sa comestibilité, mais comme je ne suis plus à une vexation près depuis mon licenciement sans cause réelle et sérieuse, je me laisse humer.
Elle me pitche le business-model de la plateforme www.dafktong.com*** : mettre en relation des professionnels experts d'un domaine, et des clients potentiels, c'est génial, c'est le futur et le futur c'est maintenant.

Bon, ce truc me fait vaguement penser à Meetic, qui lui-même me donne vaguement envie de dégueuler, mais puisque j'ai du temps, j'accepte une invitation à un
showcase organisé par www.dafktong.com**** en présence du C.E.O. (le PDG, pour ceux qui n'ont pas fait d'études de commerce) pour se présenter à ses futurs “masters” (comprendre : les travailleurs indépendants qui s'inscriront sur la plateforme - inch'allah).

Vient la soirée en question, ça se passe dans un
espace de co-working loué pour l'occasion quelque part dans Paris, on est très gentiment reçus, une trentenaire lookée H&M présente une dizaine de slides PowerPoint censées contenir toutes les informations nécessaires à la compréhension du dispositif – en réalité ça ne fait que mettre en avant quelques banalités sur le principe de mise en relation via internet, et les importants investissements publicitaires réalisés par www.dafktong.com**** pour être visible sur le net –

PUIS VIENT LE MOMENT DU BUFFET INFORMEL EN MODE
AFTERWORK.
Quelqu'un met du Black Eyed Peas ou du Daft Punk en fond sonore - je ne sais plus trop, en tout cas ça fait vraiment ambiance soirée funky-business millésimée 2002, époque de la première bulle internet, juste un peu plus cheap. Un stagiaire met une perruque de mardi gras achetée sur www.ruedelafete.com et tente d'inviter les gens à guincher, il y a des Grolsch et des Despérados dans des bacs à glace, des sushis au saumon transgenre sur les tables de séminaire de 120 x 70... et je me dis que ça suinte quand même la ringardise crasse, ce www.dafktong.com*****. Mais bon, foutu pour foutu, il est 21h00, je chique le maximum de bières en espérant commencer à être légèrement pompette avant de me casser discrétos.

Je discute avec un mec venu là comme moi pour essayer de monnayer ses talents – il a l'air gravement en fin de droits, mais il tente d'afficher un sourire compensatoire, je ne suis pas assez bourré pour trouver ça drôle, merde y a presque plus de bières, je me rapproche du buffet, et c'est là qu'arrive à ma hauteur un autre type, d'une cinquantaine d'années comme moi, sauf qu'il fait plus vieux, et qu'il ressemble à Michel Houellebecq en moins sexy, avec sa vapoteuse cradingue et sa veste en tweed dont les poches baillent.

Et voilà : comme quelques jours auparavant à la porte Maillot, j'ai à nouveau cette impression qu'on me renifle l'arrière-train, ce type dégage quelque chose de malsain...mais bon, comme il semble s'intéresser à moi en me demandant si j'ai “déjà eu une expérience Uber” (Une expérience Uber, ça consiste en gros à prendre un taxi via une application internet, pour ceux d'entre vous qui comatent au bout de 4000 signes), j'accepte d'échanger quelques mots avec lui.

Je lui explique ma situation passée, ma reprise d'activité après une longue interruption, je devine bien qu'il n'en a strictement rien à foutre, mais je m'en fous, je continue, quand dans ma tête, un clic mental : Ce type, C'EST LUI ! C'est le
C.E.O. de www.dafktong.com*******!!! (voir plus haut si vous avez du mal à mémoriser les acronymes corporate.) Je poursuis mon elevator pitch sur ma connaissance des outils infographiques, mes compétences linguistiques, ma connaissance du marché de la communication et du marketing institutionnel...quand il me coupe la parole et me dit, accrochez-vous à vos slips français, Françaises, Français :

“Ah mais moi, les free-lance qui se barrent avec la clientèle, je les vire.”
Et il tourne les talons. Sans me laisser la possibilité de répondre. 
Alors, je te réponds maintenant, un an plus tard, en te tutoyant, méchant homme : pour me virer un jour, il faudrait d'abord que j'accepte de travailler pour ta plateforme techno-esclavagiste - et entre nous, putois à tablette, vu les conditions léonines de ton deal pourri (id est : 45% du chiffre d'affaire des pigeons qui signent avec toi contre une présence sur ta pauvre page html 5), les chances sont égales à ZÉRO.

Quant à tes “expériences Uber”, je ne te ferai pas l'offense de te suggérer où les mettre, avec ton brillant cursus en
business-school, tu devrais trouver par toi-même...ou finir chauffeur Uber, quand les vautours libertariens qui financent tes 200.000€ de pub mensuelle sur internet t'auront viré du buffet où tu grailles sur le dos de la “crise de l'emploi.” 



Car toi aussi, libéral-clochard mal élevé, tu dois penser à ta place dans la chaîne alimentaire, hein, et franchement, vu ton teint olivâtre, je préfère ma place à la tienne.
Mauvaise année à toi !

* L'URL a été changée
** L'URL a été changée là aussi
*** : voir * et **

vendredi 23 juin 2017

La Fédération Française de Gentillesse vous présente : Nagui !


Françaises, français, mes chers compatriotes, en vérité je vous le dis : rien n'est plus ardu que deviser sur le rien, le vide, l'inconsistant.
Comment portraiturer un mètre-étalon de la vacuité ultime sans tomber soi-même dans ladite vacuité ? C'est pourtant l'exercice de style qui m'a été proposé par une revue dont je tairai le nom ici, et j'avoue que je suis à la peine. Torture. Vacherie. Je conjecture.
  
A la fois creux et pléthoriques, les shows de Nagui sont une sorte d'oxymore qui s'ignore : il n'y a rien d'exceptionnel, mais “c'est hyper bien filmé”, pour paraphraser l'intéressé. Hem. “Hyper bien filmé”, ça se discute...je dirais plutôt “hyper trop filmé”. Quand on tombe sur un extrait de “Taratata”, avec ses 23 caméras dont une au bout du manche de la Gibson de Jean-Jacques Goldman - qui est aussi l'auteur de la musique du générique - on se dit qu'il ne manque plus qu'une vue endoscopique de, euh...enfin une vue endoscopique de ce que vous voudrez pour que le tableau soit complet.



Ça dégueule de lumières, un coup en face, un coup en contre, d'effets stroboscopiques, on exhibe le matos, “Vazi Gégé, mets-moi un flight-case tout rayé en amorce pour que ça fasse vrai gig, genre un pur road-show de desperados du rock, tu vois”.

Désolé, on est à la Plaine Saint Denis sur le Plateau 128, sortie porte d'Aubervilliers, Paris 75019, les mecs. Et pas au SXSW d'Austin, Texas.


Et pourtant...et pourtant, “less is more” dit l'adage que je cite dans la langue commune à Shakespeare et Benny Hill - que notre sympathique bateleur grisonnant pratique comme Nelson Monfort fait du rameur à l'Aquaboulevard, selon le côté du tube cathodique et du boulevard périphérique par lequel on regarde.

Par pitié, quelqu'un, faites quelque chose ! Rendez-nous les jardins zen de la télévision SFP des années 1960, made in Buttes-Chaumont, avec DEUX caméras, pas une de plus, champ-contrechamp sur Serge Gainsbourg qui chante en playback en regardant par terre, et puis c'est marre !


Venu du monde des radios très improprement dites “libres” de la région PACA, Nagui émarge d'abord en 1983 au service d'une très monégasque chaine de télévision, et comment dire ? Aujourd'hui encore, ce j'menfoutisme méridional décontracté lui colle aux Chelsea boots comme l'étron d'un caniche de rombière aux claquettes de piscine d'une employée de maison cap-verdienne non déclarée.


Tous les jours sur les ondes de France Inter, grâce à Frédéric Schlesinger, ancien directeur de RFM Sud-Ouest entre 1986 et 1990, qui l'a fait entrer à Radio France, Nagui déboule à 11h00 pile avec son générique de trompettes synthétiques jouées au Yamaha DX9, qui ressemble tellement à la face B d'un 45 tours du tragique duo “Partenaire Particulier”, que moi perso, ça me donne envie d'exploser mon radio-cassette FM Continental Edison à coup de boules de pétanque. 


Nagui ne lit pas les fiches qu'on lui prépare, on se demande parfois s'il voit les films “hyper-bien filmés” dont il parle avec l'enthousiasme d'un élève de première année de BTS communication et média, et ce sont Daniel Morin et Albert Algoud (je veux dire ici mon respect infini à ces deux moines-soldats de l’humour radiodiffusé) qui se chargent régulièrement de repêcher comme ils peuvent notre cher- si cher – animateur-producteur, qui se plaignait en juin 2016 au micro turgescent de Jean-Marc Morandini de la modestie des émoluments que lui verse France Inter en ces termes :

« C'est du bénévolat, on ne peut pas parler de salaire, c'est un défraiement. » Les pigistes et autres soutiers permittents sous-payés en CDD abusif qui font tourner la Maison Ronde au quotidien apprécieront.

C'est la classe à Palavas, et c'est résolument très “BFM” – pardon, très “RFM”, très “Bernard Tapie en R25 Baccarra”, très “Réussis ta vie”, très “Vacances, j'oublie tout, j'm'envoie en l'air, ça c'est super, folie légère, c'est fou”, bref c'est complètement eighties, vous ne trouvez pas ?



En vous souhaitant bonne réception,
Votre dévoué,

Francis Quinzulla

jeudi 22 juin 2017

La "Société Civile" d'Emmanuel Macron : essentiellement des chefs d'entreprise, des cadres, des avocats et des professions libérales !

« Nos candidats signent le retour définitif des citoyens au cœur de la vie politique. » Jeudi 11 mai, Richard Ferrand, secrétaire général d’En Marche! – renommé « La République en marche » (LREM) – a annoncé pas peu fier le nom des 428 premiers candidats du parti aux législatives, en attendant la liste définitive d'ici au 19 mai, après la formation du gouvernement.

« 52 % des candidats sont issus de la société civile », s’est également félicité le député élu sur les bancs socialistes il y a cinq ans et réinvesti en Bretagne sous l’étiquette LREM. Autrement dit : ceux-là « n’ont jamais exercé de mandat électif et n’exercent aujourd’hui aucun mandat politique ».

Dans le dossier de presse distribué ce jour-là, seize exemples de novices lancés dans la bataille des législatives des 11 et 18 juin sont mis en avant. Parmi eux, Hervé Berville, un économiste de 27 ans né au Rwanda (Côtes-d’Armor) ; Marion Buchet, pilote de chasse de 35 ans (Meurthe-et-Moselle) ; Coralie Dubost, référente d’En Marche! dans l’Hérault de 34 ans et responsable de la Montpellier Business School ; Yolaine de Courson, ancienne directrice de l'audit et des risques du groupe La Poste retraitée (Côte-d’Or) ou encore Émilie Guerel, professeure d’anglais varoise de 33 ans.

Lorsqu’on parcourt la fameuse liste – au départ de 428 noms, elle a été réactualisée lundi soir et compte désormais 511 noms –, les nouvelles têtes sont bien là : la moitié des candidats sont des candidates, leur moyenne d’âge est de 46 ans, les profils non politiques sont nombreux. À part les cas notables du Rhône et des Pyrénées-Atlantiques, où les « barons » macronistes Gérard Collomb et François Bayrou ont obtenu l’investiture d'élus amis, LREM a tenu à présenter un certain nombre de profils issus de la « diversité ». Selon nos recoupements, ils ne constituent toutefois qu’environ un dizième parmi les 428 premiers noms annoncés.

On remarque tout de suite les profils qui sortent du lot comme la torera Marie Sara (Var), le mathématicien mondialement connu Cédric Villani (Essonne), le sapeur-pompier Jean-Marie Fievet (Deux-Sèvres), la double championne de France de course de côte automobile Alison Hamelin (Vosges), l’ancien patron du Raid Jean-Michel Fauvergue (Seine-et-Marne).

Mediapart a épluché le pedigree de ces plusieurs dizaines de non-élus mis en avant par le mouvement… en tout cas, de tous ceux dont on retrouve la trace sur Internet, puisque le mouvement d’Emmanuel Macron n’a pas jugé utile de préciser leur biographie aux médias. La « société civile » de LREM, parti présidentiel qui se veut « central » dans la vie politique, est surtout constituée de chefs d’entreprise, médecins, avocats, cadres du privé ou collaborateurs d’élus. On n’y trouve a priori aucun ouvrier, et seulement une toute petite poignée d’employés. La « République en marche » est celle des CSP+, des cadres dynamiques, des notables locaux. Un monde de gens qui vont plutôt bien, voire très bien, à l’image du noyau des électeurs d’Emmanuel Macron.

La liste compte d’abord un nombre considérable de chefs d’entreprise, PDG, créateurs de start-up, patrons de TPE/PME. Au total, d’après nos calculs, c’est de loin le plus gros contingent. Ils sont au moins une soixantaine, soit un peu moins d'un tiers des candidats estampillés « société civile ».

Parmi eux, Bruno Bonnell  créateur d’Infogrames et Atari – aujourd'hui roi des robots –, qui fut l'éphémère employeur de la version française, diffusée sur M6 en 2015, de The Apprentice, le show télé qui fit connaître Donald Trump aux États-Unis. Très actif à Lyon dans la campagne de Macron, il affrontera Najat Vallaud-Belkacem à Villeurbanne (Rhône). On trouve aussi David Simonnet (Loiret), à la tête d’Axyntis, un groupe de 450 salariés ; des patrons de sociétés plus ou moins grandes, comme Corinne Versini (l’adversaire de Jean-Luc Mélenchon à Marseille, fondatrice de Genes'Ink, une entreprise high-tech), Sabine Thillaye (Indre-et-Loire), Grégory Besson (Aube), Anne Genetet (résidente à Singapour, 11e des Français de l’étranger) ou Adrien Taquet, fondateur de l’agence Jésus & Gabriel, un communicant qui a, selon Le Parisien, inventé le slogan En Marche! (Hauts-de-Seine). D'autres dirigent des sociétés dans l’aéronautique, l’énergie, l’immobilier, la finance, la santé, etc.

Directeur général adjoint de Bouygues Telecom (par ailleurs élu à l’agglomération de Auch), groupe dont est également issu Didier Casas, le conseiller d’État qui conseille Emmanuel Macron sur les questions régaliennes, Jean-René Cazeneuve est candidat dans le Gers. Tout comme Jacques Savatier, un ancien haut dirigeant de La Poste (Vienne).

On décompte une quinzaine de start-upper, comme Mounir Mahjoubi (Paris), ancien président du Conseil national du numérique (CNnum) et responsable de la campagne numérique d'Emmanuel Macron, Hélène de Meire (Ain), créatrice de my-startup fiduciaire, une société de conseil en trading, ou Alexandre Zapolsky (Var) qui a fondé Linagora, un des plus gros éditeurs de logiciels libres français. Président de la Fédération nationale de l'industrie du logiciel libre, il siège pour le Medef au Syntec numérique. Depuis dix ans, sa société a conclu plusieurs contrats avec le ministère de l’économie et des finances. 

Plusieurs dirigeants du privé figurent aussi dans la liste, comme Pascal Chamassian, adjoint du directeur régional chez Orange bien implanté dans la communauté arménienne de Marseille, Cathy Racon-Bouzon (Bouches-du-Rhône), directrice de communication de la marque Kaporal, ou Bérangère Couillard (Gironde), directrice régionale d’IKKS. Les cadres de l’audiovisuel et des médias ne sont pas en reste, comme Valérie Bougault (Paris), directrice numérique chez Canal Plus, Frédérique Dumas, ex-dirigeante de la filiale cinéma d’Orange (par ailleurs ancienne de l’UDI), Gilles Le Gendre, ancien rédacteur en chef de l’hebdomadaire Le Nouvel Économiste (Paris), ou Ophélie Lerouge, productrice chez Actarus film (Orne). Christian Gérin, producteur de l’émission « Faites entrer l’accusé » (France 2), figurait dans la liste, mais son investiture a été annulée vendredi pour cause de tweets qualifiés d’antisémites par la Licra.

Plusieurs représentants patronaux sont investis, comme Sonia Strapelias, vice-présidente de l'Union des commerçants et artisans du Vaucluse (dont le restaurant est en liquidation), le président de la fédération des commerçants de France, Olivier Damaisin (Lot-et-Garonne), Élodie Jacquier-Laforge, déléguée générale de la fédération française des entreprises de crèches (par ailleurs ex-collaboratrice parlementaire d'une sénatrice MoDem), ou Dominique David, déléguée régionale de l'Union des industries chimiques d'Aquitaine.

On dénombre aussi une soixantaine de cadres du privé, chargés de communication, chefs de projet, responsables des ressources humaines, commerciaux, etc. Ainsi qu’une dizaine de consultants en tout genre (stratégie, management, etc.), des experts en communication et plusieurs “coachs” comme Sandrine Josso (« coach nutrition », Loire-Atlantique) ou Fabienne Colboc (Indre-et-Loire), « consultante en évolution professionnelle certifiée par le centre international du coach ».

Autres contingents fournis, ceux des médecins et des avocats, corporations qui fournissent traditionnellement nombre de parlementaires. « Ils ont du temps disponible, des moyens, et en particulier de quoi avancer les frais de campagne », explique Jonathan Chibois, anthropologue spécialiste du Parlement. On dénombre une petite vingtaine de médecins (et cinq infirmiers) et autant d’avocats. Parmi eux, des avocats de différents barreaux, Sacha Houlié, fondateur des « Jeunes avec Macron » (Vienne) et spécialiste en droit de la construction, ou Lætitia Avia, 31 ans, une avocate d’affaires, ancienne du cabinet Darrois (Paris). Autres métiers représentés : une trentaine de professeurs, enseignants et chercheurs, ainsi qu’une petite dizaine de responsables associatifs et d’ingénieurs.

A vrai dire, le CV des aspirants députés n’est pas très étonnant. Emmanuel Macron a mené campagne sur un espace politique « central », social-libéral, centriste et de droite modérée. L’ancien ministre de l’économie a fait des start-up un modèle. Il a promis de « libérer les énergies », de supprimer des charges pour les entreprises, et les « normes inutiles ». Il entend assouplir le code du travail, a promis la suppression du RSI pour les indépendants mais aussi un droit au chômage étendu au-delà des seuls salariés.

Les 19 000 candidats LREM ont par ailleurs été sélectionnés, selon leur « connaissance du programme et leur capacité à le porter, leur imprégnation locale, leur capacité opérationnelle de faire une campagne », a expliqué le président de la Commission nationale d’investiture (CNI), Jean-Paul Delevoye. Autrement dit, ce sont autant de petits managers locaux, connus sur leur territoire, disposant de temps, qui ont été choisis pour affronter les candidats PS, LR et du Front national.

Revers de la médaille, le casting fait une très faible place aux actifs ouvriers et aux employés. Ils représentent 50 % de la population active, mais sont quasiment absents de la liste LREM. Nous n’avons ainsi repéré aucun actif ouvrier dans cette liste. Et à notre connaissance, très peu d'employés, comme la secrétaire de mairie Béatrice Delamotte (Seine-Maritime), Fanette Charvier (Doubs) ou Xavier Paluszkiewicz, un maire de Meurthe-et-Moselle employé d’une banque au Luxembourg. On ne compte qu’une dizaine de demandeurs d’emploi et cinq agriculteurs : Olivier Alain (Côtes-d’Armor), Jean-Baptiste Moreau (Creuse), président d'une coopérative agricole, Nicole Le Peih (Morbihan), Sébastien Gardette (Puy-de-Dôme), syndicaliste à la Confédération paysanne, et l'agricultrice bio Sandrine Le Feur (Finistère).

Ces candidatures sont à l’image du monde d’Emmanuel Macron, dit l'anthropologue Jonathan Chibois. Il y a bien un renouvellement, au sens où les candidats n’ont pas fait de politique auparavant, mais ce n’est pas un renouvellement en termes de classes sociales. »

Sollicitée, l'équipe de LREM assure ne pas connaître la « répartition des candidats par classe socioprofessionnelle ». Mais elle admet que « parmi les dossiers reçus, il y avait une forte représentation de dirigeants et de cadres du privé ». « Cela ne concerne pas qu’En Marche!. L’Assemblée nationale n’est pas à l’image de la société française », avance le parti présidentiel. Autre explication avancée : le « coût d’une campagne, entre 20 000 et 30 000 euros », que le candidat doit partiellement avancer. Un obstacle qui a pu dissuader les moins aisés, fait valoir LREM.

La « société civile » version LREM, ce sont enfin de nombreux collaborateurs, ou anciens collaborateurs, d’élus. Jusqu’à son retrait, le cas le plus emblématique était évidemment Gaspard Gantzer, porte-parole de François Hollande à l’Élysée, investi dans un premier temps à Rennes – ce qui a suscité une bronca, jusqu’à irriter le ministre de la défense Jean-Yves Le Drian, au point qu’il a dû renoncer. On peut citer aussi Gabriel Attal, conseiller de la ministre Marisol Touraine (Hauts-de-Seine), Antoine Pavamani (Essonne), ex-collaborateur de Manuel Valls et Jean-Marie Le Guen, Marie Guévenoux (Essonne), ancienne attachée parlementaire d’Alain Madelin puis membre de l’équipe d’Alain Juppé, Jean-Michel Mis, collaborateur du député PS Jean-Louis Gagnaire, Véronique Avril (Seine-Saint-Denis), une ancienne des cabinets socialistes, ou Alexandre Aidara, énarque et ancien du cabinet de Geneviève Fioraso et Christiane Taubira (Seine-Saint-Denis), etc.

Autre cas de figure, ces candidats qui ont gravité entre entreprise et politique comme Benjamin Griveaux, le porte-parole d’Emmanuel Macron (Paris), ancien vice-président du département de Saône-et-Loire et plume de Marisol Touraine devenu directeur de la communication et des relations institutionnelles du groupe Unibail-Rodamco, leader européen de l’immobilier d’entreprise ; Mickael Nogal (Haute-Garonne), ancien strauss-kahnien qui vient de quitter son poste de directeur des relations institutionnelles d’Orangina, ou bien Hugues Renson, candidat à Paris face au LR Jean-François Lamour, un ancien conseiller de Jacques Chirac actuellement délégué général de la Fondation EDF. La liste définitive des candidats LREM est attendue dans la semaine.

source :
https://www.mediapart.fr/journal/france/160517/la-societe-civile-de-macron-des-gens-qui-vont-bien?utm_source=facebook&utm_medium=social&utm_campaign=Sharing&xtor=CS3-66