[Déjà posté sous Gilles
Épareballes, mais tant pis]
En février 2016, après sept mois
d'arrêt-maladie, je reprends mon bâton de pèlerin-chômeur
licencié à 49 ans avec deux enfants à charge.
Tel
un courageux Christophe Barbier en sortie de piste, je me réinscris
au Pôle Emploi, je consulte ces horribles sites
web consacrés à l'emploi des "seniors",
vous savez, ceux où l'on peut lire des grossièretés du style :
"Embauché un sénior, s'est la Rolls au prix de la 2CV !"
...avec des publicités contextuelles en gif animé vous invitant à participer à une conférence gratuite consacrée à l'alopécie, au dépistage du cancer de la prostate ou à la retraite par capitalisation.
L'EXTASE.
"Embauché un sénior, s'est la Rolls au prix de la 2CV !"
...avec des publicités contextuelles en gif animé vous invitant à participer à une conférence gratuite consacrée à l'alopécie, au dépistage du cancer de la prostate ou à la retraite par capitalisation.
L'EXTASE.
Quand SOUDAIN : je vois un pop-up
me proposant de visiter gratuitement... le Salon des Entrepreneurs !
“Hey mec”, me souffle mon surmoi économique et social qui
passait par là, “une chance pareille ne se présente pas deux
fois dans une vie d'homme, et c'est GRATUIT PUTAIN.”
Parfois
je me dis que j'ai vraiment trop de chatte, que c'est limite
insultant pour ceux qui me lisent quotidiennement en jalousant
secrètement mes privilèges de nanti de la place des Fêtes et n'ont
de cesse que de scroller
dans mes 850 derniers
posts
afin d'y dénicher un photomontage graveleux et le signaler à
Facebook
pour m'apprendre à vivre.
Alors
ni une, ni deux, je remplis un formulaire pour obtenir mon
invitation, je l'imprime moi-même comme un héros très discret des
temps connectés. Et quelques jours plus tard, me voilà devant le
prestigieux Palais des Congrès de la porte Maillot recarrossé de
béton ciré par Christian de Portzamparc, avec mon badge à
code-barre autour du cou, comme la vache va à l'abattoir.
“À nous deux, monde de la création d'entreprise ! Voilà devant toi un digne disciple de feu Raymond Barre !” tonné-je intérieurement.
“À nous deux, monde de la création d'entreprise ! Voilà devant toi un digne disciple de feu Raymond Barre !” tonné-je intérieurement.
[Espace digression]
Raymond Barre, vous vous souvenez ? Mais Siiiiiiii ! Le mentor décédé du juvénile et presque mort Emmanuel Macron ! Le gros nounours du Bébête Show du très bête Stéphane Collabo, ça ne vous dit rien ? C'est LUI qui enjoignait dès les années 1980 le quidam-chômeur à créer sa boite pour sortir de la spirale mortifère de l'assistanat, présentant cette option comme la panacée – même si on apprendra plus tard que Raymond s'était soigneusement gardé de monter la moindre entreprise de sa vie, préférant de loin vivre sur les deniers publics, en émargeant comme prof d'économie à l'Institut d'Etudes Politiques de Paris, ou en logeant à l'hôtel Matignon. How bizarre.
[Fin de l'espace digression]
Je
prends l'escalator qui mène au niveau 1 du Palais des Congrès et
là, c'est le choc : au lieu d'une ruche bruissante d'entrepreneurs
complètement dynamiques et motivés, me voilà dans une sorte de
hall d'aéroport régional où évoluent, hébétés, lents et
mutiques, des quadra à quinquagénaires plus ou moins endimanchés,
qui vêtu d'un petit costume fatigué de piètre confection, qui
chaussé de mauvais mocassins à bout “pointu-carré”, qui encore
en vilain blue jean's Complices et pull bariolé...et j'ai
l'impression d'avoir été catapulté dans un épisode de The
Walking Dead...non,
en fait : je suis téléporté dans “Zombie,
Dawn of the Dead” de George Romero (1978),
le seul, le vrai film de morts-vivants qui sublime les canons
classiques du genre pour porter l'estocade là où ça fait mal à la
société productiviste-consumériste libérale qui nous accable
chaque jour davantage, mais avec le sourire, alors ça passe.
Je déambule parmi ces inconnus avec leur petite sacoche aux couleurs du quotidien “Les Echos”, qu'ils remplissent de dépliants vantant telle entreprise de portage salarial, d'autres détaillant l'intérêt du statut d'auto-entrepreneur, ou telle application de gestion comptable totalement cloudée et responsive design.
“Bref”, me dis-je in petto, “ça ne fait pas bander des masses, tout ça...un peu comme quand tu nages dans de l'eau bien froide et que ton appendice reproducteur se recroqueville telle une coquillette séchée au fond de ton minislip Speedo, SOUVIENS-TOI L'ÉTÉ DERNIER à Noirmoutier, la risée devant tes potes.”
Et puis
derrière un pilier de béton, je découvre, non pas la foi comme
Paul Claudel à Notre-Dame, mais le stand de www.dafktong.com*,
une plateforme
internet
dédiée à l'économie
participative, avec
une déco très deux-point-zéro,
des couleurs et des pictogrammes et des écrans plasma et une machine
Nespresso et des bonbons Haribo la vie c'est beau tavu.
Alors je m'approche, une fille avec un badge portant son prénom s'approche de moi, j'ai cette impression curieuse qu'elle veut me renifler la rondelle comme on renifle une tranche de jambon pour s'assurer de sa comestibilité, mais comme je ne suis plus à une vexation près depuis mon licenciement sans cause réelle et sérieuse, je me laisse humer.
Elle me pitche le business-model de la plateforme www.dafktong.com*** : mettre en relation des professionnels experts d'un domaine, et des clients potentiels, c'est génial, c'est le futur et le futur c'est maintenant.
Bon, ce truc me fait vaguement penser à Meetic, qui lui-même me donne vaguement envie de dégueuler, mais puisque j'ai du temps, j'accepte une invitation à un showcase organisé par www.dafktong.com**** en présence du C.E.O. (le PDG, pour ceux qui n'ont pas fait d'études de commerce) pour se présenter à ses futurs “masters” (comprendre : les travailleurs indépendants qui s'inscriront sur la plateforme - inch'allah).
Vient la soirée en question, ça se passe dans un espace de co-working loué pour l'occasion quelque part dans Paris, on est très gentiment reçus, une trentenaire lookée H&M présente une dizaine de slides PowerPoint censées contenir toutes les informations nécessaires à la compréhension du dispositif – en réalité ça ne fait que mettre en avant quelques banalités sur le principe de mise en relation via internet, et les importants investissements publicitaires réalisés par www.dafktong.com**** pour être visible sur le net –
PUIS VIENT LE MOMENT DU BUFFET INFORMEL EN MODE AFTERWORK.
Quelqu'un
met du Black
Eyed Peas
ou du Daft
Punk
en fond sonore - je ne sais plus trop, en tout cas ça fait vraiment
ambiance soirée funky-business
millésimée 2002, époque de la première bulle internet, juste un
peu plus cheap.
Un stagiaire met une perruque de mardi gras achetée sur
www.ruedelafete.com et tente d'inviter les gens à guincher, il y a
des Grolsch et des Despérados dans des bacs à glace, des sushis au
saumon transgenre sur les tables de séminaire de 120 x 70... et je
me dis que ça suinte quand même la ringardise crasse, ce
www.dafktong.com*****.
Mais
bon, foutu pour foutu, il est 21h00, je chique le maximum de bières
en espérant commencer à être légèrement pompette avant de me
casser discrétos.
Je discute avec un mec venu là
comme moi pour essayer de monnayer ses talents – il a l'air
gravement en fin de droits, mais il tente d'afficher un sourire
compensatoire, je ne suis pas assez bourré pour trouver ça drôle,
merde y a presque plus de bières, je me rapproche du buffet, et
c'est là qu'arrive à ma hauteur un autre type, d'une cinquantaine
d'années comme moi, sauf qu'il fait plus vieux, et qu'il ressemble à
Michel Houellebecq en moins sexy, avec sa vapoteuse cradingue et sa
veste en tweed dont les poches baillent.
Et
voilà : comme quelques jours auparavant à la porte Maillot, j'ai à
nouveau cette impression qu'on me renifle l'arrière-train, ce type
dégage quelque chose de malsain...mais bon, comme il semble
s'intéresser à moi en me demandant si j'ai “déjà eu une
expérience Uber” (Une
expérience Uber, ça consiste en gros à prendre un taxi via une
application internet, pour ceux d'entre vous qui comatent au bout de
4000 signes),
j'accepte d'échanger quelques mots avec lui.
Je lui explique ma situation passée, ma reprise d'activité après une longue interruption, je devine bien qu'il n'en a strictement rien à foutre, mais je m'en fous, je continue, quand dans ma tête, un clic mental : Ce type, C'EST LUI ! C'est le C.E.O. de www.dafktong.com*******!!! (voir plus haut si vous avez du mal à mémoriser les acronymes corporate.) Je poursuis mon elevator pitch sur ma connaissance des outils infographiques, mes compétences linguistiques, ma connaissance du marché de la communication et du marketing institutionnel...quand il me coupe la parole et me dit, accrochez-vous à vos slips français, Françaises, Français :
“Ah mais moi, les free-lance qui se barrent avec la clientèle, je les vire.”
Je lui explique ma situation passée, ma reprise d'activité après une longue interruption, je devine bien qu'il n'en a strictement rien à foutre, mais je m'en fous, je continue, quand dans ma tête, un clic mental : Ce type, C'EST LUI ! C'est le C.E.O. de www.dafktong.com*******!!! (voir plus haut si vous avez du mal à mémoriser les acronymes corporate.) Je poursuis mon elevator pitch sur ma connaissance des outils infographiques, mes compétences linguistiques, ma connaissance du marché de la communication et du marketing institutionnel...quand il me coupe la parole et me dit, accrochez-vous à vos slips français, Françaises, Français :
“Ah mais moi, les free-lance qui se barrent avec la clientèle, je les vire.”
Et
il tourne les talons. Sans me laisser la possibilité de répondre.
Alors, je te réponds maintenant, un an plus tard, en te
tutoyant, méchant homme : pour me virer un jour, il faudrait d'abord
que j'accepte de travailler pour ta plateforme techno-esclavagiste -
et entre nous, putois à tablette, vu les conditions léonines de ton
deal
pourri (id
est
: 45% du chiffre d'affaire des pigeons qui signent avec toi contre
une présence sur ta pauvre page html 5), les chances sont égales à
ZÉRO.
Quant à tes “expériences Uber”, je ne te ferai pas l'offense de te suggérer où les mettre, avec ton brillant cursus en business-school, tu devrais trouver par toi-même...ou finir chauffeur Uber, quand les vautours libertariens qui financent tes 200.000€ de pub mensuelle sur internet t'auront viré du buffet où tu grailles sur le dos de la “crise de l'emploi.”
Car toi aussi, libéral-clochard mal élevé, tu dois penser à ta place dans la chaîne alimentaire, hein, et franchement, vu ton teint olivâtre, je préfère ma place à la tienne.
Mauvaise année à toi !
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